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  • Penser le changement ou changer le pansement ?

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    S’il y a une chose que l’histoire nous enseigne, c’est que les moments de choc sont profondément instables. Soit nous perdons beaucoup de terrain, nous nous laissons voler par les élites et en payons le prix pendant des décennies, soit nous remportons des victoires progressistes qui semblaient impossibles quelques semaines plus tôt. Nous le constations avec les pluies de milliards.

    Du coup, la pandémie a réactivé le futur comme un espace de possibilité, car les automatismes (à la fois technologiques et financiers) qui désactivaient la subjectivité politique au cours des dernières décennies néolibérales ont été brisés, ou du moins déstabilisés.

    Le scénario économique et social que nous allons découvrir à la sortie du pandémonium actuel est difficilement imaginable. Il ne ressemblera pas aux récessions passées, car ce sera une crise de l'offre et de la demande à la fois, et parce que l'effondrement expose la perspective de stagnation déjà visible ces dix dernières années, malgré les efforts de relance de la croissance économique. La croissance a ralenti au point de créer une sorte de «mauvaise utopie» ces dernières décennies. La raison n'était pas une crise provisoire, mais bel et bien une mutation. Les augmentations technologiques  apporteront du confort mais pas de productivité. Le capitalisme a depuis longtemps dépassé le travail sous une forme négative. D’une part, il l’a rendu superflu grâce à la force productive de la science et, d’autre part, il l’a dégradé en une simple annexe à l’accumulation du capital fictif. Le Nasdaq qui tire l’ensemble des indices vers le haut le prouve bien puisqu’il n’est que pure spéculation sur l’avenir. Des espoirs de gains basés sur du travail non consommé et des ventes qui n’ont pas eu lieues.

    Paradoxalement, nous n'avons pas pu voir la possibilité de réduire le temps de travail parce que nous avons été obsédés par les superstitions de l'augmentation de la productivité nationale alors que des économistes comme Larry Summers ou Robert Gordon, théoriciens de la stagnation séculaire ont démontré que les nouvelles technologies étaient non seulement destructrices d’emplois mais créent juste du confort sans augmenter la productivité. De même pour la consommation. Que l’on mange une pizza dans une pizzeria, qu’on la commande par téléphone ou par Internet, le résultat est toujours une pizza.

    Dans le même temps, les medias nous hurlent que les commerçants veulent travailler. Ils ne veulent pas de cash juste travailler ! Il faut acheter français (vieux slogan communiste)…le pays découvre avec effroi avec l’histoire des masques et des médicaments le pacte faustien qui nous était proposé et que j’explique depuis des lustres : que ce nous gagnons en tant que consommateur, nous le perdons en tant que producteur. Pire encore, que dans les démocraties de marché l’acte d’achat est plus important que le droit de vote et que notre avenir et notre façon de vivre se détermine chez les petits commerçants !!! Certains n’hésitent pas à expliquer qu’il faut faire acte de civisme en achetant chez les petits commerçants qui seraient les seuls garants du Way of Life à la française ! Pourtant comme pensait Adam Smith : ce n’est pas de la bienveillance du boulanger ou du boucher que j’obtiens un morceau de pain ou de viande mais de leur égoïsme de leur froide raison. L’antagonisme des égoïsmes crée ce que les économistes appellent un équilibre. Pourquoi devrai-je me soucier des problèmes financiers du commerçant qui ne s’intéresse pas au miens ? N’est-ce pas les Gilets Jaunes ? Ainsi aurait pensé Adam Smith et Schumpeter aurait ajouté que la destruction était créatrice. Fin de la séquence…

     

    Dans tous les discours ambiants, l’identification au travail est devenue le point de référence d’une critique régressive et nationaliste du néo-libéralisme et de la financiarisation de l’économie. Sans comprendre ce que nous expliquons depuis des années, à savoir que le capitalisme financier était la planche de salut du capitalisme que personne ne remet en cause.

    Nombreuses aussi sont les voix qui réclament des plans de relance post-keynésiens et des grands travaux compatibles Bulle verte ou Grand Reset. Mais là encore, nous sommes dans l’illusion. L’argent de l’État ne peut être obtenu qu’en imposant la production réelle de survaleur (profits et salaires). Il est trompeur de parler des investissements publics comme s’il s’agissait d’une contribution à la croissance. Lorsque l’État construit des routes et des écoles ou finance l’éducation et la recherche, il s’agit de consommation sociale, car le pouvoir d’achat de celle-ci a été auparavant prélevé sur une production réelle de survaleur. Cela vaut également pour les activités des entreprises de construction, des établissements d’enseignement, etc., dans la mesure où elles sont financées par des dépenses publiques. Dès que l’État contracte des emprunts par le biais d’obligations parce que ses revenus réguliers sont insuffisants, il est soumis aux mêmes conditions que les entreprises et les particuliers. Cependant, le service du prêt (intérêts et remboursement) nécessite une application productive de capital, ce qui n’est pas le cas pour l’État. C’est comme si les entreprises ne produisaient pas de valeur, mais la consommaient seulement. C’est pourquoi Marx, dans le Livre III du Capital, a présenté la dette publique négociée sous forme d’obligations comme une forme particulière de « capital fictif », qui est illusoire dès le départ.

    Certes, on peut abandonner le modèle extractif, et adopter des technologies non polluantes, par exemple. Plus important encore, on peut abandonner un modèle dans lequel la consommation est obligatoire plutôt que d’exhorter les consommateurs à une charia d’achat et de gadgets inutiles pour un Black Friday. En pareil cas, nous serions bel et bien dans la construction d’un nouveau monde.

    Maintenant, une chose est claire: la principale cause de la détresse actuelle est la primauté du profit privé sur les intérêts sociaux. Les destructeurs néolibéraux du système de santé sont responsables des cauchemars européens et américains d’aujourd’hui. L'agression néolibérale contre la sphère publique, les coupes dans les dépenses publiques ont provoqué une fausse conception: si le capitalisme néolibéral est anti-étatiste, alors l'opposition sociale à l'austérité doit nécessairement être pro-État. Je ne pense pas que nous ayons besoin d’un État fort pour répondre à ce type de crise ou à d’autres; ce dont nous avons besoin, c'est d'une forte coordination des organisations sociales de base - professionnelles, culturelles, éducatives, médicales - qui peuvent devenir le tissu concret de la reproduction sociale. Le besoin actuel de centralisation de l'intervention publique dans l'urgence est une question administrative, technique et organisationnelle à laquelle une formation d'État n'a pas besoin de répondre. La fonction politique de l'État est une autre chose, et je pense que la fonction politique de l'État moderne ne sera pas relancée par l'urgence actuelle. La décision implique la capacité de connaître tous les événements pertinents dans la sphère sociale et la capacité de faire appliquer un choix prospectif. Les deux capacités connaître et faire respecter ne sont plus accordées aux sujets politiques, et il faut les récupérer. La vaste complexité de la réalité en réseau d’aujourd’hui s’est accrue au-delà de la possibilité d’une connaissance exhaustive et d’une application efficace - elle est centralisée. Il faut donc envisager une forme d'action politique non centralisée, une diffusion de la prise de décision adaptée à la multiplicité de la vie sociale. L'État-nation est mort, il a été tué par la mondialisation néolibérale et ne peut être relancé que sous la forme d'une forme de violence identitaire et totalitaire contre la multiplicité des perspectives qui appartient aux nouvelles compositions du travail. L'émergence d'un État encore plus fort et re-légitimé est une possibilité dangereuse au lendemain de la pandémie: un système techno-totalitaire de contrôle de la vie et de la langue dont nous sommes déjà témoins en Chine. C’est pour toutes ces raisons que la pensée de Murray Bookchin et le municipalisme libertaire qui part du local puisque tout part de là, est d’une étonnante modernité. J’aurai l’occasion de revenir dessus.

    Nécronomiquement Votre

    PS : ne pas confondre le municipalisme libertaire qui prend en compte tous les aspects de la citoyenneté et le localisme qui ne recouvre que les aspects production/consommation.

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